Balthus, un peintre obsédé par les jeunes filles ?

« Thérèse rêvant », célèbre toile de Balthus est une des œuvres les plus polémiques de l’histoire de l’art. Une des plus troublantes, aussi. Après avoir fait scandale au Museum of Art (Met) en 2017, elle est aujourd’hui exposée à Madrid. Balthus, était-il obsédé par les fillettes ?

Balthus (pseudonyme de Balthasar Kłossowski), est un peintre français d’origine prussienne. Il est né à Paris en 1908 et a perdu la vie le 18 février 2001 dans son chalet de la Rossinière, il laisse près de 350 peintures connues à ce jour, plus d’un millier de dessins, une cinquantaine de carnets de croquis. Il est ainsi considéré comme un peintre figuratif.

 

jean-noël-schramm-portrait-de-balthus-et-sa-famille
Portrait de Balthus et sa famille, 1997

 

Balthus est resté célèbre pour ses tableaux de jeunes filles souvent peintes dans des poses paradoxales exposées aux regards des voyeurs. Sur certains de ses tableaux, elles paraissent très enfantines. Ces oeuvres ont souvent choqué les visiteurs des musées, il y a même eu une pétition à New York pour retirer le tableau « Thérèse Rêvant ». En 1934, Balthus a peint « Leçon de guitare » qui est sans doute son œuvre la plus scandaleuse. Elle met en scène une jeune fille et sa professeure de musique dans une situation suggestive, et fortement sexualisée. Cette peinture a même été soustraite à la vue du public aux Etats-Unis.  » Je vois les adolescentes comme un symbole. Je ne pourrai jamais peindre une femme. La beauté de l’adolescente est plus intéressante. L’adolescente incarne l’avenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. Une femme a déjà trouvé sa place dans le monde, une adolescente, non. Le corps d’une femme est déjà complet. Le mystère a disparu « . (Quelques mots de Balthus pour justifier son obsession des jeunes filles).

En 2017, près de seize ans après sa mort, Balthus n’a cessé de semer le tourment.  » Thérèse rêvant  » a bouleversé New York, au point de créer une pétition pour que le Metropolitan Museum of Art (Met) fasse retirer la toile qui a réuni plus de 7.000 signatures en 72 heures. Pour ces milliers de pétitionnaires, l’érotisme de cette fillette prépubère à la culotte apparente  » véhicule une image romantique de l’enfant-objet « .

La jeune femme qui a lancé la pétition favorisant le retrait de ce tableau se nomme Mia Merrill, indique le « New York Post ». Elle est entrepreneure et confie : « Je demande simplement au Met d’être plus vigilant concernant les toiles qu’il accroche à ses murs et de comprendre ce que ces tableaux insinuent. »
D’autre part, Kenneth Weine, le porte-parole du Metropolitan Museum of Art a répondu aux pétitionnaires que la toile ne sera pas décrocher car « le sens de l’art est de refléter différentes périodes, et non seulement la période actuelle ». Il ajoute  » Notre mission est de collecter, d’étudier, de conserver et de présenter des œuvres d’art significatives de toutes les époques et de toutes les cultures.  »

 

balthus
 » Thérèse rêvant  » , 1938

 

Les polaroïds censurés de Balthus

Anna Wahli, était la dernière muse du peintre. Pendant huit ans, tous les mercredi après-midi, à la fin des années 1990, elle a posé pour le peintre dans le Grand Chalet de Rossinière en Suisse.

Anna était âgée de huit ans seulement quand elle a commencé à poser pour Balthus, 16 quand cela s’est arrêté. Le peintre, lui, vivait ses dernières années. Affaibli – il avait perdu le contrôle de son regard et de sa main – le peintre a du abandonner ses crayons pour se résigner à utiliser un appareil polaroïd afin de capturer les pauses de son modèle.  » Balthus – The Last Studies « , un corpus inédit qui réuni près de 2 000 photographies produites pendant les dix dernières années de sa vie, constituent les études préliminaires pour ses trois dernières peintures majeures. Ses mains devenues presque paralysées par son grand âge, Balthus eut recours à l’appareil photo comme à une sorte de prothèse, à la fois œil, main et pinceau, réinterprétant ainsi le seul et unique moyen pour lui d’approcher et de définir l’image mentale de laquelle découlerait la composition du tableau.

Extraits de « Mercredi Après-Midi », le texte d’Anna Wahli pour Balthus : les dernières études, édité chez Steidl.

 

6958589
© Harumi Klossowski de Rola

 

 » J’ai commencé à poser pour Balthus lorsque j’avais huit ans. A cette époque-là, je vivais ma vie de petite fille et Balthus n’était pour moi que mon voisin, un patient de mon père, un viel homme sympathique que je croisais quand j’allais jouer chez mon amie, fille du personnel de maison du Grand Chalet. L’histoire veut que son choix se soit porté sur moi pour devenir son modèle, quand un jour en rentrant de l’école il m’entendit chantonner l’air de la Reine de la Nuit de Mozart. Balthus lui-même féru de ce compositeur aurait eu comme une vision. Il a alors demandé à mon père s’il était d’accord que je pose pour lui. Je sais que mes parents m’ont demandé mon avis, mais je ne me souviens pas avoir réfléchi à ma réponse, j’ai dit oui et je suis allée poser pour la première fois au Grand Chalet, quelques jours plus tard.

Un jour, dans une autre pièce du Grand Chalet et dans une autre posture, Balthus s’énervait avec son crayon. Il n’arrivait plus à l’utiliser comme il le souhaitait et le faisait tomber car ses doigts n’arrivaient plus à tenir cet objet si fin. (…)
Balthus a donc dû très rapidement changer d’outil de travail pour passer aux polaroïds. (…)

De l’âge de 8 ans à 16 ans, je n’ai pas cessé d’aller passer mes mercredis après-midi poser pour Balthus. Je dois dire que cela ne me paraissait pas extraordinaire. Cela faisait partie de mon quotidien. Je mesurais parfois l’ampleur de ce que j’étais en train de vivre lorsque des journalistes ou des photographes souhaitaient me rencontrer, m’interviewer ou me photographier. Dans ces cours instants, je me rendais compte que j’étais probablement en train de vivre quelque chose d’exceptionnel, d’unique. Le reste du temps, je redoutais plutôt l’appel de Balthus à la maison pour me demander de venir poser.

Il y avait quelque chose d’indescriptible dans ce qui nous liait Balthus et moi. Il m’avait demandé de le tutoyer, je n’ai jamais pu, mais je me sentais proche de lui, à mi-chemin entre un grand-père et un ami. Une complicité à quelque part et des rituels, qui nous ont permis de nous supporter durant 8 ans, lors de ces moments hors du temps et presque irréels qu’était nos séances de pose… « 

Laisser un commentaire